Prohibition

Depuis que les Pères Pèlerins ont chargé la soute du Mayflower avec de la bière, l’alcool et les rituels qui l’entourent sont au moins aussi américains que l’Apple Pie... Cependant, au milieu du 19e siècle, alors qu’une vague de ferveur idéologique balaie le pays, beaucoup commencent à voir l’alcool comme un fléau, un obstacle à l’utopie protestante d’une vie saine et vertueuse. Des campagnes de tempérance inspirée par l’église au lobby xénophobe de la Ligue Anti-Saloon, les Américains se déchirent sur la question de l’alcool, finissant par le déclarer illégal, dans le 18e Amendement de la Constitution qui instaure la Prohibition.

Le 17 janvier 1920, la Prohibition entre en vigueur. Mise en place pour promouvoir une Amérique plus convenable et respectueuse des lois, elle a exactement l’effet inverse. Les médecins et les pharmaciens, les agents fédéraux et les policiers locaux, les rabbins et les directeurs des pompes-funèbres trouvent tous des moyens de gagner de l’argent en contournant la loi.

Tandis que certains Américains tentent de respecter la loi de la Prohibition, des millions d’autres s’irritent de ses conséquences imprévues. Les gangsters font des bénéfices sans précédent avec le trafic de bière, ce qui crée des guerres territoriales violentes et des luttes de pouvoir dans des villes comme Chicago et Detroit. Un fossé culturel divise l’Amérique : les villes multiculturelles principalement « Wets » contre les campagnes protestantes « Drys ».

Au milieu des années 20, à la grande époque du jazz, les bars clandestins deviennent le symbole d’une vie nocturne urbaine et glamour, avec des reporters qui racontent dans leurs chroniques la débauche haute en couleurs de leur génération. À Chicago, Al Capone devient une star, tenant des conférences de presse pour promouvoir son image tandis que son gang meurtrier étend son emprise. Pour beaucoup, la Prohibition ressemble de plus en plus à une terrible erreur.

Même les mères républicaines n’y croient plus. Partisane de longue date de la Prohibition, Pauline Sabin accuse la loi d’avoir divisé la nation entre "abstinents, alcooliques et hypocrites". L’escalade de la violence, la corruption des mœurs, l’impuissance du gouvernement lassent l’opinion. Quand la Grande Dépression s’installe, il faut trouver de nouvelles recettes fiscales. En décembre 1933, le nouveau président Franklin D. Roosevelt abroge le 18e amendement. Pour la première fois depuis treize ans, la bière coule en toute légalité.